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Le privilège de Chalo Saint Mard par Noël Valois (1886)

Annuaire Bulletin de la Société de l'Histoire de France

1886 - T. 23 - 2ème partie

Le privilège de Chalo Saint Mard
par M. Noël Valois 


 Il est permis aujourd'hui d'ignorer le nom d'un privilège auquel la plupart des dictionnaires et des encyclopédies historiques ont refusé les honneurs d'un article spécial. Si cependant le récit d'une grande mystification, dont l'origine remonte au moyen âge et dont les suites ont été plusieurs fois envisagées avec inquiétude par la royauté elle-même, mérite de fixer l'attention, nous n'aurons point lieu de regretter le temps employé à faire connaitre et  replacer dans son vrai jour le privilège de Chalo-Saint-Mard. 
Ce n'était rien de moins qu'une exemption totale des impôts, tailles, aides, subsides et droits quelconques perçus dans le royaume pour le compte du roi et de ses vassaux : faveur singulièrement utile, et qui comportait même le privilège de noblesse suivant une opinion fort répandue, principalement, il est vrai, parmi les intéressés. Jouissaient de ces avantages tous les descendants d' "Eudes le Maire, dit Chalo-Saint-Mard," personnage sur lequel nous reviendront bientôt. Nous disons : tous les descendants, tant par les femmes que par les hommes; c'est-à-dire que , dans cette famille, suivant l'expression consacrée, "le ventre annoblissait," ou tout au moins affranchissait des impôts. Le nombre de ceux qui avaient prouvé ou cru prouver que quelques gouttes du sang d'Eudes le Maire coulaient encore dans leurs veines est assez difficile à préciser. Il s'élevait, en 1602, à trois cent cinquante environ, suivant une déclaration officielle des "gardes de la Franchise : " estimation qui parait bien faible auprès des renseignements fournis d'ailleurs. Nous ne parlons pas d'une plaidoirie dont l'exagération égale la malveillance : "De present, disait le 9 mars 1507 un avocat au Parlement, il en y a nombre infiny qui se disent de ladicte lignée, et y sont receuz tous en baillant deux escus." Mais, en 1540, François Ier entrevoyait déjà le moment où la plupart des marchands du royaume seraient des rejetons d'Eudes la Maire. En 1578, Henri III qualifiat d' "excessif" le nombre des prétendus descendants d'Eudes le Maire, commerçants pour la plupart. Henri IV en 1596, n'estimait pas à moins de sept ou huit mille personnes la lignée actuellement vivante d'Eudes de Chalo Saint-Mard, et il ajoutait un peu plus tard : "Ceulx qui s'en disent estre yssus ... sont pour la plupart les plus riches et aysez des villes, bourgs, villages, et y ont le plus d'auctorité." Dans la seule ville de Paris; les descendants d'Eudes le Maire, organisés en communauté, élisaient annuellement un syndic, dont ils faisaient l'agent comptable de leur association et le dépositaire de leurs titres. Dès 1528, un recueil officiel publié par l'échevinage de Paris porte à rois mille au moins le nombre des descendants de Chalo-Saint-Mard, sans qu'il soit possible de dire si cette évaluation s'applique à l'ensemble de la lignée, ou seulement aux membres de la famille établis à Paris. il va sans dire que certains historiens ont démesurément grossi ces chiffres : Favyn, par exemple, en vient à parler de vingt ou trente mille personnes issues de Chalo-Saint-Mard et répandues de son temps dans toutes les parties du royaume, particulèrement dans les villes frontières et maritimes. " Telles exemptions, dit-il, ont un fort long temps faict rechercher l'alliance de ceux de ceste ancienne franchise, voire des villes frontières de ce royaume, les plus riches marchants desquelles, pour jouyr des advantages d'icelle, venoient prendre femme à Estampes et aux environs (le village de Chalo-Saint-Mard, berceau de la famille, est situé à dix kilomètres d'Etampes), afin de pouvoir en toute liberté trafficquer francs et quittes de tous droicts et passages? Et ces filles, par ce moyen, richement mariées sans bource deslier,  "Numerabant in dite triumphos. ""

Au nombre les plus connus parmi les privilégiés de Chalo-Saint-Mard, nous citerons le jurisconsulte René Choppin, le conseiller au Parlement Mathieu Chartier et son petit-fils, l'illustre Mathieu Molé. Cette famille Chartier, à laquelle il suffisait de se rattacher pour participer à la franchise, faisait remonter son origine jusqu'à un certain Alain Chartier, qui avait, disait-on, épousé Tiphaine Le Maire, une des filles du fameux Eudes, dit Chalo Saint Mard.   
On connaît trop l'érudition des jurisconsultes du XVIème siècle pour s'étonner des rapprochements que leur suggérait cette immunité. Ils ne savaient mieux comparer le privilège de Chalo Saint Mard qu'à l'exemption accordée par les Athéniens aux descendants d'Harmodius et d'Aristogiton.   
Quel était donc l'important personnage dont le souvenir se trouvait ainsi lié à celui des meurtriers d'Hipparque ? Quel service éminement rendu à la couronne avait pu donner lieu à une aussi éclatante faveur ?   
A vrai dire, il existe un certain désaccord au sujet de l'époque à laquelle vivait notre héros. Une opinion qui avait cours à Etampes vers l'année 1514, et que consacrent deux lettres patente et un arrêt du Parlement, rapporte son aventure au règne de Philippe le Bel. Suivant un seconde version, Philippe-Auguste aurait compté Eudes le Maire parmi ses compagnons d'armes lors de la troisième coirade de 1191. Mais la tradition de beaucoup la plus accréditée est celle dont MM. Menault, fourcheux de Montrond, et Guizot lui même se sont faits les échos, d'après les historiens du XVIème siècle : "Le roi Philippe Ier, disent-ils, avait fait voeu d'aller, armé de toutes pièces, visiter le tombeau du Christ à Jérusalem, se suspendre ses armes dans le temple et de l'enrichir de ses dons... Les prélats et les seigneurs du royaume, prévoyant les maux qu'occasionnerait son absence, s'efforcèrent vivement de le retenir. Alors un de ses fidèles serviteurs, Eudes le Maire, dit Challo Saint Mard, né à Etampes, offrit d'entreprendre lui-même  le voyage à la place du roi. Il partit à pied, armé comme dans un jour de bataille et portant dans sa main un cierge qu'il allumait à divers intervalles. Il employa, dit-on, deux années à faire ce pélerinage. Arrivé enfin au terme de sa course, il déposa ses armes dans le temple du Saint-Sépulcre, où plusieurs années après les voyait-on encore, ainsi qu'un tableau d'airain, mémorial de son voeu. Le noble pélerin avait laisser son fils Ansolde et ses cinq filles sous le patronage de son roi. Son retour dans sa patrie fut le signal des honneurs dont ce prince se plus à la combler. En témoignage d'estime et de satisfaction, il lui accorda l'exemption de tous péages, tributs et autres droits pour lui et toute sa race. "

Eudes Le Maire appartiendrait donc au XIème siècle, l'âge de la première croisade, et son histoire se rattacherait à l'un de traits les plus surprenants du règne de Philippe Ier. Ce prince, que l'on était habitué à se représenter bravant les anathèmes de l'Eglise, nous apparaît cette fois comme un pélerin impatient de se prosterner devant le temple de Jérusalem. Le service que lui rend Eudes Le Maire ne semble pas payé trops cher par une exemption perpétuelle d'impôts : le généreux serviteurs acquitte la dette de son maître, calme les scrupules de la conscience royale, en même temps qu'il permet au prince de poursuivre sans interruption l'oeuvre de consolidation de la monarchie capétienne.   
Telle est, non pas la légende (nous craindrions de manquer de respect aux auteurs graves qui l'ont reproduites), mais l'histoire poétique d'Eudes Le Maire. Occupons-nous à présent de reconstituer son histoire vraie.   
Nous commencerons ce travail par deux éliminations. Il s'agit de textes invoqués pour prouver l'ancienneté des droits reconnus par la couronne aux héritiers d'Eudes Le Maire. L'un de ces textes est une note soi-disant insérée "dans les registres de la Chambre des comptes sous le règne de Philippe le Bel." Or, non seulement les mémoriaux reconstitués après l'incendie de 1737 ne fournissent aucune indication semblable; mais les mémoriaux anciens, dont le contenu est analysé feuille par feuille dans nos inventaires, ne présentaient, vers l'époque de Philippe le Bel, aucune mention relative à la lignée d'Eudes Le Maire.   
Le second texte, cité pour la première fois par dom Fleureau, est un passage d'une prétendue ordonnance de saint Louis déclarant exempte du guet de la ville de Paris "toutes les personnes étans de la lignée de Challo-Saint-Mard, dont la femme affranchit le mary, qui sont plus de trois mil." Que pouvait être cette ordonnance ? Cette question semblait destinée à rester toujours sans réponses. Voici ce que nous avons rouvé. Il existe un recueil de pièces et de dissertations historiques publié, en 1501, par ordre du parlement et plusieurs fois réimprimé sous les auspices de la ville de Paris. Dans toutes les éditions, sauf la première, figure l'ordonnance de 1254 sur les jeux, l'usure, les juifs, etc.; un peu plus loins, commence une dissertation sur le guet de la ville de Paris, rédigée apparemment par l'éditeur de 1528, et qui contient textuellement ces mots : "Sont francs et exempts dudit guet ... toutes les personnes estans de la ligne de Charlot-Sainct-Mas, dont la femme affranchist le mary, qui sont plus de trois mil. " Telle est la prétendue ordonnance de saint Louis. Dom Fleureau a confondu la prose d'un éditeur comtemporain de François Ier avec le texte de l'ordonnance de 1254. Sa méprise est d'autant plus certaine qu'elle lui est commune avec l'auteur du Traité de la police, Nicolas de La Mare. C'en est assez pour écarter l'ordonnance de saint Louis au même titre que la note inscrite dans les mémoriaux du temps de Philippe le Bel.

Passons à des faits plus certains. L'an 1336, diverses personnes s'intitulant "hoirs ou aiens cause de feu Eude de Chalo" présentent requête à Philippe VI à l'effet d'obtenir la reconstitution d'une charte scellée du grand sceau, en cire verte, sur lacs de soie, qui leur a été octroyée, disent-ils, par le même roi, c'est-à-dire dans les huit années qui précèdent, mais qui, placée dans l'excavation d'un vieux mur, s'est trouvée entièrement détruite par l'action de l'humidité : il n'en reste plus que le sceau. L'affaire est renvoyée aux gens des requêtes de l'Hôtel. En même temps, l'on produite deux vidimus de la charte détruite passés sous le sceau du Châtelet; onze témoins attestent sous serment la conformité de ces copies avec l'original détruit, qu'ils affirment avoir vu. Philippe VI se rend à ces preuves multiples : il reconstitue la charte par lettres datées du Louvre au mois de décembre 1336.   
Ces lettres que les hoirs de Chalo obtenaient ainsi, par deux fois, de la chancellerie de Philippe VI; n'étaient qu'une confirmation : elles ratifiaient les dispositions contenues dans un diplôme de Philippe Ier. Ce qu'il y a de très singulier, c'est que le texte même de ce diplôme n'a jamais passé sous les yeux ni de Philippe VI, ni de ses gens : ils n'en n'ont point vu l'original, ils n'en ont point vu de copie. On s'est borné à leur montré une sorte de notice anonyme, rédigée on ne sait pas qui, et certifiée conforme au texte du diplôme par trois abbés parisiens. Du reste, point de date dans la formule d'attestation. Il faut savoir l'époque et la durée du gouvernement de ces trois abbés, André, abbé de Saint-Magloire, Ascelin, abbé de Saint-Victor, Thibaid, abbé de Sainte-Geneviève, pour reconnaître qu'ils ont dû fourni leur triple certificat vers le milieu du règne de saint Louis, entre les années 1244 et 1254.   
C'est là un procédé bien étrange. Si l'original du diplôme de Philippe Ier existait encore vers le milieu du XIIIème siècle, ainsi que nous l'affirme les trois abbés, comment les hoirs Chalo n'ont-ils pas cherché à en obtenir un vidimus en forme, soit à la chancellerie royale, soi à la prévôté de Paris ? Au lieu de s'adresser à l'autorité la seule compétente en pareille matière, ils s'en vont recourir trois abbés qui n'ont point qualité pour apprécier l'authenticité d'une charte royale. Remarquons qu'ils ne leur demandent pas de vidimer le diplôme : ils leur présentent à sceller une notice informe, rédigée sans doute par eux, et s'écartant visiblement, au moins par la tounure des phrases, du texte de l'original. En d'autres termes, ils s'efforcent de les rendre complice d'un véritable travail de remaniement et d'interprétation. Ils les invitent, non pas à collationner deux textes d'apparences identiques, mais à juger si les différences existant entre les diplômes et la notice sont de nature à altérer le sens de la concession de Philippe Ier. Nous ignorons jusqu'à quel point les trois abbés André, Thibaud et Ascelin possédaient les qualités nécessaires pour bien s'acquitter de cette tâche. Mais, ce que nous savons fort bien, c'est que, pour désirer et opérer ainsi la substitution d'une notice à un diplôme en forme, les hoirs Chalo devaient avoir quelque intérêt puissant à faire disparaître ce diplôme. Et, de fait, il a disparu. Depuis le jour où les abbés de Saint-Magloire, de Saint-Victor et de Sainte-Geneviève l'ont eu entre leurs mains, jamais plus personne ne l'a revu. Les hoirs Chalo n'ont cessé de produire à l'appui de leurs prétentions la notice accompagnée de l'attestation des trois abbés, et nous avons vu comment, sous Philippe de Valois, ils ont réussi à la faire revêtir de l'approbation royale.   
Nous avons donc de fortes raisons de soupçonner la notice de n'être qu'une traduction libre du diplôme, traduction tout à l'avantage des héritiers Chalo.   
Mais nous ne arrêterons pas là : nous pousserons l'indiscrétion jusqu'à rechercher si le diplôme qui fut montré aux trois abbés, puis disparut aussitôt, présentait, lui du moins, les caractères d'un acte authentique. Les souscriptions et la date de ce diplôme ont dû passer textuellement dans le corps de la notice; elles sont ainsi conçues : "Signum Hugonis, tunc temporis  dapiferi. Signum Gascionis de Pisciaco, constabularii. Signum Pagani Aurelianensis, buticularii. Signum Guidonis, fratris Galeranni, camerarii. Actum Stampis, mense martii, in palatio, anno ab incarnatione millesimo quater vigesimo quinto, anno vero regni ejus vigesimo quinto ... ". Cette date ne présente aucune difficulté; elle peut correspondre au mois de mars 1085 ou 1086, suivant la manière de fixer le commencement de l'année et le commencement du règne : les habitudes irrégulières de la chancellerie de Philippe Ier autorisent cette double supposition. Restent les souscriptions. Hugues de Rochefort, sénéchal, Gace de Chaumont, connétable, Payen d'Orléans, bouteiller et Guy, non pas frère, mais fils de Galeran, chambrier, ont en effet rempli leurs charges simultanément, mais à une époque bien postérieure à 1085 : c'est seulement en 1106 que leurs souscriptions apparaissent au bas des diplômes de Philippe Ier. Donc les données chronologiques résultant de la présence des grands officiers ne concordent pas avec la date exprimée dans la pièce, mars 1085-1086. l est vrai que certains auteurs se sont efforcés d'atténuer, sinon de faire disparaître, cette contradiction. Pour justifier la présence d'un sénéchal du nom de Hugues en l'année 1085, il sont intercalé Hugues le Grand, troisième fils de Henri Ier, sur la liste des sénéchaux, entre Robert et Gervais; mais cette hypothèse ne repose que sur la charte de Chalo, et elle est inconciliable avec plusieurs circonstances de la vie de Hugues le Grand. Le "Hugo tunc temporis dapifer" ne peut-être que Hugues de Richefort, et, encore une fois, il y a une contradiction entre les indications fournies par les souscriptions et par la date du diplôme de Chalo Saint Mard.   
Cet argument, suffisant pour faire douter de l'authenticité du diplôme, emprunte encore une nouvelle force à l'observation qui suit. Les principales concessions faites par Philippe Ier aux églises et aux monastères d'Etampes datent précisément des années 1106 et 1107, sont rédigées avecs le mêmes formules, sont suivies des mêmes souscriptions que le diplôme des héritiers Chalo. Pour faire valoir à quel point la ressemblance est grande, nous metrons en regard, par exemple, les dernières phrases du diplôme de Chalo Saint Mard et de celui qui fut octroyé, en l'année 1106, aux serfs et colliberts de la Sainte Trinité d'Etampes.

Diplôme de la Sainte-Trinité
 d'Etampes 

Diplôme de Chalo-Saint-Mard  

 Et ut hec libertas firma et
 inconvulsa permaneat in servis
 Sancte trinitais, memoriale
 istud inde fieri et nostri nomi-
 nis charactere et sigillo signari
 et corroborari precepimus. Ad-é
 stantibus de palatio nostro quo-
 rum nomina subtitulata sunt et 
 signa :

Signum Hugonis de Creceio,
 dapiferi nostri.
 Signum Gascionis de Pissia-
 co, constabularii nostri.

Signum Pagani Aurelianen-
sis, buticularii nostri.
ignum Guidonis, tunc tem-
poris, camerarii nostri.
 Actum Pissiaci, in Palatio,
anno ab Incarnatione Domini
MCVI, anno vero regni nostri
XLV.

 Et ut hec libertas et hec 
 pacta firma et incovulsa per-
 maneant, memoriale istud inde
 fieri et nominis [nostri] karac-
 tere et sigillo signari ex presente
 et propria manu [nostra] cruce
 facta corrobari precepi[mus].
 Adstantibus de palation [nostro]
 quorum nomina subtitulata 
 [sunt] et signa : 
Signum Hugonis, tune tem-
 poris dapiferi[nostri].
 Signum Gascionis de Pissia-
 co, constabularii [nostri]
 Signum Pagani Aurenlianen-
 sis, buticularii [nostri].
 Signum Guidonis, fratris Ga-
 leranni, camerarii [nostri].
 Actum Stampis, mense mar-
 tii, in palation, anno ab Incar-
 natione MLXXXV, anno vero
 regni nostri XXV.

 

 

Il n'est point nécessaire de préciser que cette partie du diplôme de Chalo Saint Mard a été copiée presque mot pour mot sur l'un des diplômes conservés par les églises ou les abbayes d'Etampes. Voici ce qui se sera passé. Les héritiers Chalo possédaient un acte de Philippe Ier daté de mars 1085, mais rédigé sous la forme la plus simple, et notamment dépourvu des souscriptions des grands officiers. La vue des diplômes du même roi conservés dans leur pays natal leur aura suggéré la pensée de revêtir leur charte des formules solennelles usitées pour les concessions les plus importantes; ils ont donc emprunté aux diplômes de Saint-Martin ou à celui de la Sainte-Trinité les formules finales et les souscriptions des grands officiers, persuadés qu'ils ajoutaient ainsi à la valeur de leur charte, et bien éloignés de croire qu'ils amalgamaient, en réalité, des éléments contradictoires et fournissaient de la sorte aux historiens futurs le moyen d'attaquer leur franchise.   
De toute ces observations, que conclure ? Que les prétentions des hoirs de Chalo doivent inspirer une singulière défiance :   

  1. 1° Parce qu'on attendit jusqu'au règne de Philippe VI pour les faire valoir devant la chancellerie royale;
  2. 2° Parce qu'elles s'appuient sur un acte dont les termes et la forme furent modifiés dans l'intérêt des hoirs Chalo vers le milieu du XIIIème siècle;
  3. 3° Parce qu'avant même ce remaniement, elles n'étaient fondées que sur un diplôme fabriqué par les hoirs Chalo, ou tout au moins "refait".

Voyons pourtant le contenu de cette notice qui nous est donnée comme la reproduction de la charte de Philippe Ier : reproduction faite assurément tout à l'avantage des héritiers Chalo. Que nous apprend ce document sur l'auteur de la lignée, sur l'origine et sur l'étendue de la franchise de Chalo Saint Mard ?

Nous traduisons textuellement :    

" Savoir faisons à tous présents et à venir que Eudes, maire de Chalo, suivant l'impulsion divine, et du consentement du Philippe, roi de France, dont il était le serviteur, ou serf (famulus), est parti pour le Sépulcre du Seigneur, et a laissé dans la main et sous la garde dudit roi son fils, Ansould, et ses conq filles. Et ledit roi a retenu ces enfants en sa main et sous sa garde. Et il a concédé aussi à Ansould et à ses cinq soeurs dessusdites, filles d'Eudes, pour l'amour de Dieu et par sa seule charité, et par respect pour le Saint-Sépulcre,que, si des hoirs mâles descendant d'eux venaient à épouser des femes soumises au roi par le joug du servage, il les affranchissait par avance et les dégageait du lien du servage; si au contraire des serfs du roi épousaient des femmes issues des hoirs d'Eudes, celles-ci seraient, ainsi que leurs hoirs, dans le servage du roi. Et le roi a concédé en fiefaux hoirs d'Eudes et  leurs hoirs sa marche de Chalo et ses hommes de corps à garder; de telle sorte qu'ils ne soient tenus de comparaître en justice devant aucun des serviteurs du roi, mais seulement devant le roi lui-même, et que, dans toute la terre du roi, ils ne paient aucune coutume. Le roi a ordonné, en outre, à ses serviteurs (ou à ses serfs), d'Etampes de garder à Chalo sa chambre, parce que Chalo doit garder Etampes et veiller soigneusement à la conversation d'Etampes."

Certes, nous voilà bien loin des prétentions affichées par les derniers rejetons d'Eudes de Chalo Saint Mard. Et, pour commencer par l'auteur de cette nombreuse lignée, son fameux nom de Le Maire n'est, suivant toute vraisemblance, que le titre de son office : il était maire de Chalo Saint Mard, près d'Etampes, c'est-à-dire préposé à l'administration et à la garde d'une petite communauté rurale sans importance. Que penser dès lors de cette habitant de Gaillefontaine au XVIIè siècle, dont parle La Roque, qui fondait sur son nom de Le Maire des prétentions à la noblesse ? Le soi-disant chevalier ou chambellean du roi Philippe est quelque chose comme un huissier, un percepteur et un garde-champêtre. Quant au service éminent qu'il passe pour avoir rendu à Philippe Ier, quant au voeu de ceui-ci, aux instances de ses barons, quant aux circonstances merveilleuses de ce voyage à pied accompli haubert au dos et cierge en main, quant au tableau votif, aux armes suspendues dans l'église du Saint-Sépulcre, ce sont autant d'inventions qui font honneur peut-être à l'imagination des hoirs de Chalo, mais qui sont en pleine contradiction avec les termes de la notice : Eudes est parti pour la terre sainte, mû par un sentiment de piété, trop heureux que le roi consentit à son voyagen et, comme il n'est plus question de lui dans le reste de la pièce, tout porte à croire qu'il n'en est pas evenu. Aussi est-ce par pur acte de "charité," cette concession de Philippe ier : le roi veut assurer le sort de six orphelins. Il leur accorde non pas la noblesse (c'est bien de noblesse qu'il s'agit), mais des faveurs proportionnées à leur humble condition : si leurs descendants mâles épousent des serves du roi, ils ne tomberont pas, par cela même, comme le veut la coutume, dans la conditon servile; leurs descendantes, au contraire, si elle épousent des serfs du roi, ne manqueront pas de perdre la liberté, elles et leurs hoirs. La garde de la marche de Chalo, la surveillance des fiscalins du roi, c'est-à-dire probablement les fonctions attachées à l'office de maire que remplissait Eudes, sont concédées en fief à ses descendants; mais que ce mot de fief de nous trompe pas :  on sait que les plus petits offices, les fonctions les plus viles pouvaient être l'objet d'une tenure féodale, et rien de plus fréquent au XIè siècle que la tendance des petites fonctionnaires, en particulier des maires ruraux, à rendre leurs charges héréditaires. Les descendants d'Eudes seront exempts de la juridiction, souvent odieuse, des prévôts et des autres officiers subalternes; ils ne comparaîtront en justice que devant la Cour du roi : c'est encore là un privilège accordé au XIè siècle à une multitude d'églises, de communautés, de villes et même de simples particuliers.   
En vérité, le texte de la notice est si peu favorable aux prétentions des hoirs Chalo, qu'on se demande avec étonnement en quoi ont pu consister les deux remaniements successifs dont nous avons trouvé la trace. Tout au plus peut-on atribuer à la main d'un falsificateur un certain nombre de coupures intelligentes ou de modifications à peine sensibles. Ici nous sommes, bien entendu, réduits à des conjectures. Par exemple, il n'est pas impossible que le pieux maire de Chalo fût tout simplement serf du rio : le mot famulus s'entend très souvent en ce sens, et le soin avec lequel on prévoit le cas d'un mariage contracté par les descendants d'Eudes dans la classe des serfs tendrait à confirmer cette hypothèse. S'il en était ainsi, la charte devait contenir une clause d'affranchissement, qui aurait été supprimée, comme prouvant la basse extraction de la famille. En outre, il se pourrait bien faire que la concession de fief et même l'exemption de redevances fussent limitées, dans la charte originale, à une ou deux générations. Le sens des mots "dans toute la terre du roi" pouvait aussi être précisé de telle sorte que l'exemption ne s'appliquât qu'aux coutumes levées dans le territoire d'Etampes. Enfin la phrase relative aux devoirs réciproques des habitants d'Etampes et de Chalo Saint Mard a dû être altérée de façon ou d'une autre : il est certain qu'elle est devenue à peu près inintelligible. Telles sont vraisemblablement les quelques modifications subies par la charte de Chalo Saint Mard. Elles ont suffi à donne le chande pendant plusieurs siècles, à la chancellerie, aux tribunaux, à tous les officiers du roi.   
Nous pouvons maintenant assister à ce curieux spectacle d'une famille échafaudant les prétentions les plus élevées sur la base branlante que l'on sait. Réfection de la charte originale, rédaction de la notice, attestation des trois abbés, nous passons rapidement sur cette première période qui aboutit enfin, comme nous l'avons vu, à l'homologation du privilège par la chancellerie de Philippe VI. A partir de cet heureux jour, tous les rois qui se succèdent en France ne sont pas plus tôt montés sur le trône, qu'ils se voient saisis d'une demande tendant à la ratification du privilège de Chalo Saint Mard. Les hoirs Chalo sont entrés dans la période de jouissance, ils cherchent à la faire durer. Ainsi Jean le Bon donne ses lettres de confirmation à la charte de son père dès le mois de novembre 1350. Charles V vidime et ratifie les lettres de ses prédécesseurs au mois d'avril 1366. Charles VI en fait autant, une première fois au mois de juillet 1384, une seconde fois au mois d'août 1394 : exemple suivi par Charles VII en 1436, par Louis XI au mois de janvier 1462, par Charles VIII au mois d'octobre 1483, par Louis XII au mois d'août 1498, et même par François Ier, quelques jours après son avènement, au mois de janvier 1515.   
La clause accordant remise des "coutumes" dans "tout la terre du roi" est décidemment interprétée comme un exemption de toutes les taxes, en quelque partie du royaume qu'elles se lèventet à quelque époque qu'elles soient établies. Nous voyons les hoirs de Chalo refuser de payer les aides, les vingtièmes, les huitièmes, les tailles, tous impôts dont pas un n'existait, bien entendu, au temps de Philippe Ier.   
Autre point capital : les hoirs Chalo ont intéressé à leur cause les maitres des requêtes de l'Hôtel, et ils parviennent à faire porter devant cette juridiction favorable tous leurs démêlés avec les agents du fisc ou avec les fermiers d'impôts. Vainement la Cour des aides fait observer qu'elle a été instituée, postérieurement, à la concession du privilège de Chalo Saint Mard, pour connaître de toutes les questions relatives aux aides. Vainement le Parlement, sur la conclusion du ministère public, rend parfois des arrêts favorables à la juridiction des élus. Vainement un édit de février 1544 défend aux membres de la lignée de se soustraire à la juridiction de la Chambre du trésor. Des lettres de François Ier du 22 février 1515, des arrêts du Parlement du 4 juillet 1531, du 16 juillet 1573 et du 5 mars 1577, des lettres patentes de François II du 31 août 1560, des arrêts du Grand Conseil du 11 août 1587, du 8 mars 1588 et du 10 novembre 1594 désignent les maîtres des requêtes comme gardes, conservateurs et juges, à l'exclusion de tous autres, du privilège de Chalo Saint Mard. En cas d'appel interjetés contre les sentences des Requêtes de l'Hôtel, les affaires sont déférées, non pas à la Cour des aides, juridiction favorable aux intérêts du fisc, mais au Parlement.   
Puis, comme il faut qu'un si rare privilège ait pour point de départ une action d'éclat, la légende du dévouement d'Eudes de Chalo pénètre dans le style officiel. On lit dans le préambule d'une sentence du 4 juillet 1522 : "Comme des long temps Philippe, roy de France lors regnant, pour amour et charité et en reverance et honneur de Sainct Sepulchre de Oultre mer, auquel il s'estoit voué, eust donné charge et envoyé pour faire ledict voyaige ung nomé Eude le Maire, son serviteur et familier ... ".   
Il est vrai que les membres de la lignée s'imposent de hautes obligations : ils escortent et veillent les coprs des rois et des reines en passage à Etampes. Voici comment le roi d'armes Bretagne raconte l'arrivée dans cette ville du convoi d'Anne de Bretagne : " Et estoient six cens habitans vestus en deuil, qui portoient chascun ung flambeau blanc armorié d'ung escu escartelé, le premier de Jerusalem, et le second de sinople à un escu de gueules soustenu d'or sur une feuille de chesne d'argent. Je m'enquis pourquoi ils portoient ce quartier des armes de Jerusalem; l'on me répondit qu'ils estoient yssus d'un noble home nommé Hue la Maire, seigneur de Chaillou, lequel, estant averty que le roi Philippe le Bel devoit un voiage en Jerusalmen à pied, armé, portant ung cierge, ce que le bon roi ne peult pour quelque maladie qui lui survint : et entreprint ledit seigneur de Chaillou le voyage, ce qu'il fist et accomplit. Et, pour partie de sa remuneration, iceluy roy luy octroya ung quartier des armes de Jerusalem; et franchit et exempta de tous subsides et tailles luy, ses successeurs et heritiers et ceulx qui d'eux viendront. Ainsi ils sont peuplés depuis un grand nombre. Pour ce sont-ils tenus de venir au devant du soprs des rois et reynes à leur entrée à Estampes; et, sy ils y reposent morts, sont tenus de garder ey veiller le corps : ce qu'ils ont fait ce voiage à ladite raine. Et s'appellent la Franchise." On remarquera ces armoiries concédées aux descendants d'Eudes de Chalo Saint Mard par un roi de France du XIè siècle. Elles figuraient au bas du tableau que reproduit Montfaucon, dans l'église Saint André des Arts, dans l'église Saint Etienne du Mont, etc, et sont soigneusement décrites par Favyn, La Roque, La Chenaye des Bois et Fourcheux de Montrond.   
Cependant l'heure devait sonner où la paisible jouissance des héritiers de Chalo Saint Mard alait être troublée d'une façon cruelle. Le ton de certaines plaidoiries prononcées dès les premières années du XVIè siècle avait pu déjà leur faire pressentir que l'époque du libre examen s'ouvrirait bientôt pour leur fanchise. Un terrible coup leur fut porté par des lettres de François Ier datées de Fontainebleau le 19 janvier 1541.   
Dans cet acte, la franchise de Chalo Saint Mard n'est plus qu'un "certain pretendu privileige de feu bonne memoire le roy Philippes le Bel." Les privilégiés sont appelés "aucuns de noz subjectz se disans estre yssus .... de feu Eudes le Maire. Et combien dudict pretendu privilleige original il l'apparoisse par chartre auctenticque, mais seullement par une vieille attestation de troys abbez qui ont attesté avoir autrefoys veu l'original d'icelluy privileige et deposent de la teneur et substance d'icellui, etc...". On s'aperçoit, en même temps, que la notice peut et doit être interprétée d'une façon plus étroite qu'on ne l'a fait jusqu'alors; et c'est une longue énumération des droits et des privilèges depuis longtemps usurpés par les descendants d'Eudes de Chalo : ils se sont voulu exempter et affranchir eulx et leurs biens de tous peages, acquetz, barrages, travers, pontenages et autres droiz et tributz quelzconques tant par eaue que par terre à nous deubz et à autres seigneurs subalternes, noz vassaulz et subjectz, ayans lesditz droitz en leurs terres ... ;" ils se sont établis marchands pour exploiter la franchise; ils ont fait traverser le royaume à des tonneaux de vin, de sel, de harengs, sans acquitter un sol; "et s'est trouvé marchat soy disant de la dicte lignée qui, pour ung coup, a passé douze ou treize cens muidz de vin sans riens payer". On va jusqu'à reprocher aux hoirs Chalo de vendre à prix courants. Ce préambule pouvait faire craindre une abolition du privilège; mais le ton des lettres se radoucit dans le dispositif. Elles se bornent, en somme, à exiger des témoignages ou des documents positifs au lieu des attestations sommaires que se contentaient de fournir les privilégiés pour établir leur descendance, et elles déclarent qu'ils ne jouiront plus de l'exemption que pour les produits de leur cru, ou pour les marchandises destinées soit à leur usage personnel, soit à l'approvisionnement de leurs maisons. Le Parlement enregistra ces lettres le 8 février 1541.   
En présence de cette hostilité, les hoirs de Chalo suivirent le parti le plus sage: ils patientèrent. Au mois de juin 1550, personne de se souvenait déjà plus, à la chancellerir royale, des lettres de François Ier; les membres de la lignée purent obtenir de Henri II une confirmation pure et simple de leur ancien privilège. Sous François II, ce fut mieux encore; des lettres datées d'Amboise, au mois de mars 1560, affirmèrent positivement que la franchise de Chalo Saint Mard avait reçu la confirmation et l'approbation pleine et entière de tous les prédecesseurs du roi : "Comme les hoirs naiz et à naistre de feu Heude le Maire, dict Challo Sainct Mas, eussent dès l'an quatre vingtz cinq par feuz noz predecesseurs roys de bonne memoire esté mis en leur main et sauvegarde, et iceuls affranchiz et exemptez de tous droitz et tributz quelzconques en nostre royaume, pays, terres et seigneuries, et ce pour les grandz et vertueux services à eulx faictz par ledict le Maire; et congnoissans nos dictz predecesseurs roys l'occasion dudict affranchissement estre très raisonnable, l'auroient continué, et confirmé et faict joyr et user lesdictz hoirs de l'effect et contenu d'icelluy affranchissement successivement usques à présent, qu'ilz  doubtent y estre empeschez au moyen du décès de nostre dict feu pere sans avoir sur ce noz lettres de continuation et confirmation necessaires ..." Le succès de la politique suivie par les héritiers Chalo eût été complet si les gens du parlement de Paris n'avaient eu la mémoire plus longue que les officiers de la Chancellerie : l'enregistrement des lettres de François II tarda tellement qu'il fallut à deux reprises obtenire de Charles IX des lettres de surannation; il n'eut lieu, le 6 septembre 1566, que sous les réserves stipulées par les lettre de François Ier du 19 janvier 1541 : " La Court a ordonné et ordonne que lesdictes lettres seront enregistrées pour en jouyr par lesdictz impétrans selon et conformement à l'edict faict par le feu roy Françoys premier de ce nom l'am M Ve XL, et aux modifications faictes par ladicte Court sur icelluy le VIIIè jour de febvrier oudict an.".   
La royauté continuait de se montrer favorable aux interêts de la lignée; de nouvelles confirmations furent onbtenue le 26 juin 1571, et, après l'avènement de Henri III, au mois de mars 1575.   
En 1578, le vent avait encore une fois tourné : des lettres du 29 janvier déclarèrent que les hériters de Chalo Saint Mard, dont le "prétendu privilège" avait été dûment examiné par le Conseil privé, payeraient les taxes du huitième et du vingtième, même pour le vin provenant de leur ru ou destiné à leur approvisionnement, attendu que ces taxes n'étaient point expressément visées dans l'exemption originale. Le Parlemnt enregistra ces lettres le 31 juillet, en stipulant qu'elles n'auraient point d'effet rétroactif. le 6 mars 1585, de nouvelles lettres condamnèrent les descendants de Chalo Saint Mard demeurant à Orléans à contribuer aux subsides levés dans cette ville, emprunts, solde des cinquante mille hommes, droits d'entrée sur le vin, douzième de l'appétissement de la pinte, et cela même pour le vin de leur cru, attendu "que leur dict previlege ne faict mention des choses susdictes, aussy que lors d'icelluy elles ne estoyent imposées ne establyes." Il est vrai que, le 27 août de la même année, les hoirs Chalo, ayant réussi à intéresser le Conseil du roi à leur cause, obtinrent le retour au régime de 1541 : ils ne devaient payer la taxe que pour le vin dont ils faisaient commerce. Ces lettres furent enregistrées au Parlement une première fois le 11 février 1586, une seconde fois le 9 décembre 1594, et, dans l'intervalle, confirmées par henri IV au mois de mai 1594.   
Enutefois les membres de la lignée n'étaient pas parvenus au terme de leurs épreuves. Le 24 mai 1596, du camp devant la Fère, henri IV dénonce "les fraudes et abus qui se sont commises et se commettent journellement souz couleur et pretexte du privilege pretendu par ceux qui ... se maintiennent estre yssus ... de feu Eude le Maire;" il en résulte "une grande surcharge à nostre pauvre peuple et un plus grand prejudice et dommage à nos droicts tant des aydes que tailles. Lorsque le dict privilege leur fut octroyé, les tailles n'estaoient ordinaires en ce royaumen ou estoient si petites et modérées que l'exemption d'icelles concedées en quelques uns ne portoit que fort peu préjudice aux autres." Bref, les hois Chalo payeront les huitièmes, vingtièmes et droits d'entrée du vin, même pour celui de leur cru, et, ce qui est pkus grave et tout nouveau, ils contribueront aux tailles.   
Cette fois, les gens de Chalo Saint Mard sentent le besoin de faire appel à toute leur énergie. ils ont pour eux les maîtres des requêtes, conservateurs de leur privilège; ils sont biens vus au Parlement, qui compte ou a compté déjà plusieurs d'entre eux parmi ses membres; les lettres n'ont été enregistrés qu'en la Cour des aides, après un plaidoyer insinuant de l'avocat général Cardin Le Bret. Les tribunaux n'appliqueront par une ordonnance qu'ils n'ont point reçue : le roi ne sera point obéi. Effectivement, un membre de la lignée, Alexandre du Quesnel, procureur du roi à Creil, refuse de payer la taille; il gagne son procès aux Requêtes de l'Hôtel, le perd au Conseil d'Etat, et obtient, quinze jours après, un arrêt du Parlement qui défend aux collecteurs des tailles d'invoquer l'arrêt du Conseil, sous peine de 500 livres d'amende, et  tous les huissiers de l'exécuter, sous peine de destitution.   
Cette résistance excita-t-elle le ressentiment de henri IV ? ou bien le mécontentement jaloux qu'inspirait aux contribuables la vue d'une exemption d'impôt trouva-t-elle un écho parmi les Notables qui se réunirent à Rouen vers la fine de l'année 1596 ? cette hypothèse est contredite par dom Basile Fleureau, suivant lequel la seule question soulevée par les Notables fut de savoir si les descendants d'Eudes prendraient rang parmi les nobles, parmi les exempts de tailles ou parmi les commensaux du roi. Toujours est-il que l'édit du mois de janvier 1598, dressé conformément aux voeux de l'assemblée de Rouen, révoqua une foule de privilèges, parmi lesquels la franchise "de ceulz qui se disent estre descenduz de la lignée de feu Eude le Maire, dit Chalo Saint Mas". La Cour des aide enregistra, le 27 janiver 1598, l'édit de suppression d'un privilèga au sujet duquel, dix neuf mois auparavant, elle avait entendu l'avocat du roi s'exprimer en ces termes : "Nous ne doutons point qu'il ne dure bien avant dans l'eternité des siècles à venir."

Croire que la franchise de Chalo Saint Mard fut anéantie du coup serait singulièrement s'exagérer la puissance de la royauté et méconnaître les ressources qu'une lignée bourgeoise pouvait trouver en elle et autour d'elle. Chaque fois que, durat les années 1598 et 1599, des membres de cette famille non commerçants, non fermiers, eurent maille à partir avec les collecteurs de tailles, à Montlhéry comme à Nemours, à Chartres comme à Toury, ils eurent gain de cause devnat le Parement. Que leur importaient ensuite des arrêts rendus en sens contraire par le Conseil d'Etat, s'ils ne pouvaient recevoir aucune exécution ?

La lutte prenait, comme on le voit, d'étranges proportions. Pour abattre les prétentions des descendants d'Eudes de Chalo, Henri IV devait d'abord mettre à la raison le Parlement. C'est dans ce dessein sans doute qu'il fit dresser, au mois de mars 1601, un édit spécialement dirigé contre le privilège de Chalo Saint Mard. L'obstination toujours croissante des héritiers Chalo avait paralysé l'effet de l'édit de 1598. Le nombre excessif et l'avidité des membres de la lignée rendant plus que jamais nécessaire une réforme radicale, le privilère était aboli : les hoirs Chalo devaient désormais contribuer aux tailles proportionnellement à leurs biens, payer les huitièmes et vingtièmes, les entrées du vin, les péages, tous les impôts. I ln'y avait plus de différence entre eux et les autres sujets du roi.   
Cette fois, l'édit fut adressé directement au Parlement. Mais on sait de quelle patience devait s'armer le roi pour triompher de l'entêtement et des lenteurs parlementaires. Résister le plus longtemps possible, défendre le terrain pied à pied, et lorsque sonne l'heure de la capitulation, bien stipuler que l'on cède à la violence, telle est la règle invariable suivie par le Parlement dans toutes ses grandes luttes, contre la royauté : il ne dédaigna pas de la mettre en pratique dans l'affaire de Chalo Saint Mard. Un premier arrête du 23 mai 1601 maintient le privilège en faveur des membres de la lignée qui ne sont ni marchands, ni fermiers. Le 6 juilet, en réponse à des lettres de jussion, les chambres annoncent l'intention de s'informer plus particulièrement "s'il y a quelques preuves du nombre de ceux qui se veullent prevalloyr dudict previllege par dessus le nombre contenu en leurx causes d'oppositon, et sy ceux qui ont faict trafict et tenu fermes ont payé les tailles et autres subsides du roy". Sur un mandemement itératif des plus pressants, la Cour ordonne, le 18 février 1602, que les gardes de la Franchise établis à Etampes aient à lui appoter leurs registres. On met sous ses yeux les noms et domiciles de tous les membres vivants de la lignée. Les gardes de la Franchise déclarent "extre prestz d'affermer que depuis cent ans ne s'est treuvé et ne se treuve encores à present que trois cens cinquante ou environ approuvez de la dicte posterité, desquelz la plus part sont demeurant ès villes franches et les aultres fermiers, qui payent à raison de leur trafficq et marchandise, suivant plusieurs arrestz cy devant donnez;" ils s'engagent même à renoncer à la jouissance du privilège si l'on découvre un plus grand nombre de descendants d'Eudes de Chalo. Le 15 mars 1602, la Cour décide que les cent membres les plus anciens de la lignée seront maintenus en leurs franchises, sauf à l'exemption desa tailles. Nouvelle jussion du roi : par arrêt du  8 mai, le Parelemnt persiste dans sa résolution. La royauté tenant bon, le Parlement, le 3 juin, lui concède le droit de faire contribuer les cent plus anciens privilégiés, non seulement aux tailles, mais aussi aux impositions oridinaires levées dans les villes et bourgs de leur résidence. Enfin une dernière jussion obtient, le 3 juillet 1602, après seize mois de résistance, la vérifictaion pure et simple de l'édit de mars 1601; mais il esr bien spécifié que la Cour cède seulement au très exprès commandement du roi, plusiseurs fois réitéré.

Tous les historiens considèrent cet arrêt d'enregistrement comme la suppression définitive du privilège de Chalo Saint Mard.

Mais alors comment se fait-il que rené Choppin, écrivant peu après, exprime l'espoir de transmettre la franchise à ses enfants et à ses petits-enfants, lesquelsn dit-il, en jouiront "si longtemps que les cours de France voudront conserver et maintenir ledit privilege ?" Comment se ffait-il que, le 5 juin 1618, les membres de la lignée, après avoir fait célébrer, en l'église Notre-Dame d'Etampes, un service "pour le remede de l'ame de deffunct Eude Lemaire" et de "ceulx de sa posteritté," procèdent au remplacement de trois des gardes de leur prétendue franchise ? Comment ces trois gardes nouvellement élus prêtent-ils serment aux Requêtes de l'Hôtel le 16 juin suivant ? Commen le dimanceh 2 juin 1624, Pierre Legendre et Ferry Boutet sont-ils élus aux mêmes fonctions de gardes de la Franchise ? Comment se fait-il que cette cérémonie se renouvelle encore le 10 janvier 1627, après des publications faites aux prônes de toutes les paroisses de la ville et des fauxbourgs d'Etampes ? et comment le nouvel élu, Me Pierre Baron, sieur de Lumery, docteur en médecine, est-il reçu solennellement, le 29 juillet suivant, par mes maîtres des Requêtes de l'Hôtel ? Nous possédons un procès-verbal d'une réception de ce genre antérieure à la révocation du privilège : en apparence, l'édit de 1601 n'a rien changé aux habitudes des héritiers de Chalo Saint Mard, non plus qu'au style des Requêtes de l'Hôtels.   
Cette apparence est bien conforme à la réalité des faits. Lisons la sentence rendue le 31 mars 1622 par les maîtres des requêtes de l'Hôtel en faveur d'un membre de la lignée, Guillaume de Verdun, avocat au Parlement. Après avoir rappelé la légende du voeu de Philippe Ier, elle énumère tous les impôts dont les descendants d'Eudes sont exempts, tailles, taillons et crues, huiltièmes, douzièmes, vingtièmes, emprunts, etc. Les derniers rois, ce dont nous ne doutions guère, ont confirmé le privilège et l'ont "entretenu sans enfraindre"; les maîtres des requêtes se font forts de protéger ceux de la lignée contre les fermiers, péagers, collecteurs de tailles, et même contre ceux qui tenteraient de les "charger de tutelle et curatelle, commissions et aultres charges prejudiciables à leursdictz previleges.".   
D'ailleurs, si l'édit de 1601 a reçu complète exécution, comment se fait-il que l'ordonnance du 18 janvier 1634 contienne un article 13 ainsi conçu : "Ne jouiront d'aucune exemption ... les descendans de Eude le Maire, dit Chaslot Saint Mas, dont l'exemption a esté revoquée par edit du mois de janvier 1598?".   
Il faut se rendre à l'évidence : dans la lutte entreprise par le roi contre les descendants d'Eudes de Chalo, le plus fort n'a pas été le roi. Si le privilège a subi une éclipse, il n'a pas tardé à reparaitre.   
On peut même se demander si cette dernière période, en apparence fatale aux franchises des héritiers Chalo, n'a pas vu croître, en réalité, leurs prétentions et leurs exigences. Cette sentence des Requêtes de l'Hôtel de 1622, que nous donnons en appendice, est le premier document qui inscrive parmi leurs prérogatives le droit d'être exempté des tutelles. Il ne suffit plus maintenant que la femme transmette la franchise à ses enfants, elle la communique à son mari. Les privilégiés ne se contentent plus des exemptions d'impôts, il leur faut la noblesse. Ainsi André Favyn va nous raconter gravement, dans son Histoire de Navarre, publié en 1612, comment le fils d'Eudes et ses descendants ont été faits seigneurs et châtelains de la marche de Chalo, et comment les filles issues de la lignée partagent avec les "demoiselles de Champagne" le privilège d'anoblir leurs enfants et mari. Dom Basile Fleureau dissertera à son tour pour établir que, dans la charte de Philippe Ier, le mot servitus ne signifie ni servitude, ni servage. Son raisonnement, fort long, peut se réduire à ceci : Philippe Ier avait le désir de conférer aux "femelles issues de la famille d'Eudes un privilège considérable"; il a donc dû leur octroyer le droit d'affranchir et d'annoblir leurs maris. Puis, comme il est plus facile de corriger que de torturer un texte, on va mettre en circulation une nouvelle version du diplôme : l'épithète famulus regis, appliquées à Eudes, disparaitra; les mots ipse cum heredibus suis de servitute regis essent seront remplacés par ceux-ci : ipse cum heredibus suis non sit amodo de servitute regis, et le savant Bréquigny, qui se laisse prendre à cette imposture, pourra cataloguer dans sa Table chronologique des diplômes un nouvel acte de Philippe Ier encore plus favorable que le précédent aux prétentions des hoirs Chalo. Le diplôme ainsi transformé passera aux yeux de bien des gens pour un vrai titre de noblesse, et M. Anatole de Barthélémy pourra faire à ce propos cette curieuse remarque : "Il se trouva des gens qui se prétendaient nobles parce qu'ils descendaient de roturiers affranchis."

Si nous ignorons dans quelle mesure le privilège subsista sous les règnes de Louis XIV et de Louis XV, nous pouvons du moins fixer vers 1752 la date du dernier coup qui lui fut porté. La charge du juge d'armes, créée par édit de juin 1615, était alors aux mains de Louis-Pierre d'Hozier, qui, concevant des doutes sur l'authenticité de la charte de Chalo Saint Mard, dont il ne connaissait que les textes imprimés, voulut obtenir communication de la copie conservée, suivant Fleureau, dans les archives de l'hôtel de ville d'Etampes. Il écrivit une première fois au maire sans obtenir de réponse, un seconde fois à un chanoine de la ville, qui garda le même silence; sa conviction fut faite. "Que craignent donc ces Messieurs ? s'écriait son fils, Antoine-Marie d'Hozier. Que des yeux plus clair-voyans que ceux du tems passé ne s'aperçoivent que leur privilège n'etoit appuyé que sur une fondement ruineux ? Eh ! qui en doute aujourd'hui ? Il n'est pas besoin de consulter le vidimus original pour ne s'y pas méprendre : le juge d'armes le prouvera suffisamment sans cela." Il l'a effectivement prouvé. Sa démonstration atteint son but, bien qu'ele pèche par plus d'un point; nous en avon ssignalé chemin faisant les défauts. Toutefois, signée d'Hozier, insérée dans l'Armoirial général de France, elle devait porter un coup mortel au privilège de Chalo Maint Mard.   
Nous prononcions, en commençant, le mot mystification : il semble assez bien justifié par le récit qui précède. Cependant nous n'aurions peut-être pas insisté si longuement sur la crédulité du prince et de son entourage, si nous n'avions vu quelque intérêt à montrer, en même temps, l'impuissance de la royauté à faire exécuter ses ordres, même les plus sages, quand elle se heurtait aux intérêts d'une famille ou à l'obstination d'une cour.

N. Valois

 

 Pièces justificatives :


  

Source : Gallica

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