Mélanges tirés d'une grande bibliothèque - De la lecture des livres françois - Le privilège de la famille de Challo Saint-Mard (1784)

Mélanges, tirés d'une grande bibliothèque

De la lecture des livres françois.
Livres de Géographie et d'Histoire, imprimés en François au Seizième Siècle.

Tome treizième

A Paris, Chez MOUTARD, Imprimeur-Libraire de la Reine, de Madame & de Madame Comtesse d'Artois, rue des Mathurins, Hôtel de Cluni
M. DCC. LXXXIV
Avec Approbation & Privilège du Roi
p. 47 à 51

 

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  On fait remonter jufqu'au temps du Roi Philippe I, petit-fils du Roi Robert, l'origine d'un privilège trop fingulier pour que je n'en faffe pas ici l'hiftoire, d'après nos anciens Auteurs; c'eft celui de la famille de Challo Saint-Mard. On affure que le Roi Philippe avoit fait voeu de fe rendre à Jérusalem, & de faire ce voyage en habit militaire, armé de toutes pieces; d'entrer en cet état dans l'églife du Saint Sépulcre, d'y paffer neuf jours en prieres & en dévotion, fans quitter ce harnois pefant & incommode, & de le dépofer enfuite dans ce lieu facré, comme un hommage & une preuve de la difpofition où il étoit de défendre les lieux faints contre les ennemis de notre Religion. Le Roi n'eut pas plut tôt fait ce voeu fingulier, qu'on lui en fit fentir toute l'indifcrétion. Il en convint, follicita & obtint du Pape la permiffion de le faire remplir en son nom par quelque brave & vigoureux Chevalier. Dans cette circonftance, un courifan fe préfente & offre ses fervices. Il étoit Maire, c'eft-à-dire, Bailli ou Gouverneur d'un bourg ou village nommé Challo, furnommé de Saint-Mard ou Saint-Médard, & qui faifoit parie du domaine royal d'Etampes. Sa propofition eft acceptée, & il en remplit toutes les conditions avec le plus grand fuccès & la plus grande exactitude. A fon retour, le Roi Philippe ne croit pas pouvoir lui témoigner trop de reconnaiffance; il accorde les plus grands privilèges & les plus belles exemptions à toute fa defcendance, mâles & femelles. Ils doivent être exempts de toutes tailles, fubfides, impofitions, de quelque natur qu'elles foient, réelles ou perfonnelles, de tous péages, droits d'entrée & de fortie pour toutes les denrées & marchandifes qu'ils voudront faire tranfporter, tant au dedans qu'au dehors du royaume. Cent ans après, le titre original de ces beaux privilèges étant perdu, le Roi Saint Louis voulut qu'il fût fait à ce fujet une enquête, dont le résultat fut, que les privilèges du Roi Philippe devoient être maintenus. Ce fecond diplôme, de l'an 1274, eft confervé dans les archives de l'hôtel-de-ville d'Etampes. De regne en regne les defendans d'Eude, Maire de Challo, avoient une attention continuelle à faire reconnoître & confirmer leur privilèges. Il y a des Lettre patentes à ce fujet de tous nos Rois, depuis Philippe de Valois jufqu'à François Ier. Ce ne fut que fous ce Monarque que l'on entreprit, non pas de révoquer ce privilège, mais d'en diminuer un peu l'étendue. Eude avoit eu huit enfans qui avoient formé chacun une branche. Les filles s'étoient mariées avantageufement, & avoient eu une poftérité nombreuse, qui s'étoit difpersé dans le royaume. Plufieurs d'entre eux prêtoient leur nom à des Marchands, pour faire entrer, fans payer, des marchandifes dans le royaume. Ce fut cet abus que François Ier jugea à propos de réprimer; mais d'ailleurs les defcendans de Challo, même par femmes, continuerent à jouir des privilège de la nobleffe, & même de quelques droits en plus, en prouvant bien leur filiation. Sous le regne d'Henri III, le Préfident Briffon, homme haineux, & qui avoit eu à fe plaindre de quelqu'un d'entre eux, entreprit de faire abfolument détruire & révoquer le privilège. La caufe fut portée au Parlement. L'Avocat Général Defpeiffes porta la parole : nous avons fon Plaidoyer imprimé dans les Oeuvres de ce Magistrat. Il prouva 1°. que plus ce privilège étoit ancien, plus il étoit refpectable, étant bien conftaté; 2°. que le Roi François Ier l'avoit fuffifamment reftreint; 3°. qu'il n'y avoit plus dans le royaume que deux cent cinquante trois defcendans d'Eude le Maire. Les uns portoient le nom de le Maire, d'autres celui de Challo. La famille des Chartier, illuftrée par un Evêque de Paris, de favans hommes, & de grands Magiftrats, en venoit par femmes, ainfi que plufieurs autres familles de Paris, entre autres celle de Boucher. Par ces motifs, ce privilège fut confirmé en 1598; mais, quelques années après, fous le ministere de M. de Sully, il fut aboli, ce Ministre étant abfolument ennemi des exemptions, & fentant bien que ce font elles qui produisent les furcharges. Cependant on admet encore à l'hôtel-de-ville d'Etampes ceux qui prétendent defcendre d'Eude le Maire de Challo, à la preuve de cette defcendance; & cette preuve forme du moins une prétention bien fondée à une très-ancienne nobleffe; car on ne peut regarder que comme le plus beau & peut-être le premier ennobliffement, le privilège accordé à Eude le Maire au douzieme fiecle. Les armes d'Eude le Maire étoient, fuivant les anciennes traditions, de gueules à la bordure d'or, le fond chargé d'un petit écuffon d'argent, chargé d'une feuille de chêne de finople. Saint Louis leur fit écarteler les armes de Jérusalem, qui font d'argent à la croix potencée d'or, cantonnée de quatre croifettes de même. On peut reconnoître à ces armes ceux qui croient encore defcendre de Challo.
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